BOLIVIE : POTOSI & L’ENFER DES MINEURS OUBLIES DU CERRO RICO !
09 sept. 2018Il y a quelques années, j’ai pénétré dans l’enfer de la mine du Cerro Rico, "la montagne riche" .
Son sommet qui culmine à 4782 m, était riche en effet,de ce qui fût le plus important gisement d’argent au monde.
Perçée de 600 galeries représentant près de 100 kms, 200 mines, 600 puits, dont le plus profond se situe à 450 m.
15 000 mineurs qui y travaillent ; plus de 400 ans d’exploitation, qui ont engendré plus de 8 millions de morts : des chiffres qui font froid dans le dos.
Oui, j’ai eu l’occasion de descendre dans les entrailles de cette montagne de la mort pour tenter de comprendre (un peu) l’enfer de ces mineurs . Voici mon récit.
Lors d’un voyage, je m’efforce toujours de trouver un endroit qui sort de l’ordinaire, un lieu hors du commun, qui mérite le détour, que ce soit pour la beauté du paysage, parce que c’est un incontournable, et depuis peu, parce qu’il y a une faune remarquable. Mais en fait, en y réfléchissant un peu, pas seulement…
Montrer la face cachée d’un pays visité, avec son côté négatif, à l’opposé de sa face touristique, ou idyllique, doit aussi faire partie des choses qu’il convient de dévoiler et de signaler également ; en prenant bien soin de peser le « pour » et le « contre » , donc sans pour autant dénoncer et juger….De quel droit d’ailleurs ?
Il faut tâcher de comprendre pourquoi cette situation existe et perdure. Ce fût le cas par exemple en Indonésie, avec les porteurs du soufre du Kawa Ijen , dont j'en parlais ici : LES COMBATTANTS DU KAWA IJEN
Un cas similaire existe en Bolivie : ce sont les mineurs du Cerro Rico, une mine située à 4782 m, truffée de tunnels, ou l’on extrait encore le peu de minerai d’argent qu’il reste, au prix de souffrances incroyables, faisant chaque année de nombreuses victimes.
Un récent reportage à la télévision m’a rappelé à mon bon souvenir que j’avais omis à tort de raconter cette visite improbable ; je regrette de ne pas l'avoir fait depuis tout ce temps !
C’était en 2005, mais je m’en souviens encore, comme si c’était hier !
D’un point de vue géographique.
POTOSI : La ville de Potosí est la ville la plus haute du monde, avec ses 4070 m d’altitude !
Elle se situe au pied du cerro Rico, une montagne qui culmine elle à 4782 m : c'est ici, à cet endroit, au cœur de cette montagne que l’on a extrait des tonnes d’argent durant des siècles, et qui a fait plusieurs millions de morts.
Combien d’entre vous connaissent aujourd’hui cette tragédie ?
Préambule
Mais avant tout, je souhaiterais préciser une chose : on pourrait penser à du voyeurisme, en s’invitant dans le quotidien de ces pauvres gens : ce n’est pas mon avis :
D’une part, par ce que j’aime bien me rendre compte par moi-même de la réalité, bonne ou mauvaise, de certaines choses.
Cela permet de relativiser nos soi-disant problèmes du quotidien.
Parce qu’il me semble utile de montrer le côté « obscur » de certains voyages.
Eviter tout jugement, en prenant soin de bien peser le « pour » et le « contre »
Une partie des frais liés à la visite revient aux coopératives des mineurs.
Nous leur offrons systématiquement des boissons, des gâteaux et autres besoins matériels.
La visite
Voilà une « visite » qui restera à jamais gravée dans ma mémoire !
Franchement, je n’avais jamais imaginé que je visiterai un jour une mine, au sein même d’une montagne à plus de 4000 m, ou des millions d’êtres humains ont péri pour gagner leur vie !
D’abord, une visite comme celle-là ne s’improvise pas : il faut s’équiper ! Direction les petites échoppes du marché des mineurs, où on y trouve tout le matériel et les marchandises nécessaires, comme la dynamite par exemple.
Hop ! On enfile une combinaison « rouge pétante », un casque équipé d’une « loupiote », et enfin des bottes ! Me voilà revêtu de la tenue du parfait mineur, prêt à affronter la montagne maudite !
Un cocktail d é t o n n a n t !
Enfin pas tout à fait ! Il manque « le petit cadeau empoisonné », celui que l’on doit faire aux mineurs. Cela commence par des gâteaux pour qu’ils puissent se nourrir, oui que des gâteaux secs !
Mais le pire reste à venir : lisez- bien !
- Sachet de feuilles de coca à mastiquer pour engourdir la gorge et éviter la faim !
- Bâton de dynamite gorgé de Nitroglycérine ! oui, oui, à manipuler avec précaution !
- Alcool à 96° pour faire un donc à « Tio » la divinité des mineurs
- Cigarettes, ne serait-ce que pour abîmer encore plus les poumons engorgés…
- Sulfate d’ammonium (ammoniaque + acide sulfurique) : utilisé principalement en agriculture, j’ignore l’usage qu’ils en font.
C’est parti pour l’enfer !
L’entrée ne me dit rien qui vaille ! Je pose devant, pour la postérité, ou l’éternité, peut-être !
Tout autour, la scène est à peine croyable ! Des mineurs sortent et rentrent dans la mine, avec leur brouette chargée ras la gueule !
On nous invite à en soulever une : mais c’est impossible voyons ! Ben si, eux ils y arrivent !
Le pire, ce sont les enfants qui poussent leur engin chargé de minerai bien plus lourd que leur poids ! Mais quel âge ont-ils ? Combien soulèvent-ils ! Leur condition de vie me bouleverse à tel point que je n’ose pas les photographier ! Je ne sais pas si aujourd’hui les enfants travaillent encore.
Nous voilà partis dans l’enfer de Dante et entrons dans les entrailles de la bête : Les galeries sont étroites et sombres. La montagne gronde et résonne des explosions continuelles : vraiment, je ne suis pas rassuré.
La visite commence debout, mais très vite, il faut se pencher, voire se mettre à quatre-pattes pour atteindre le boyau des mineurs. Seul, le halo de nos lampes frontales éclaire faiblement la galerie, ne laissant apparaître que nos visages.
Les boyaux sont petits, les outils rudimentaires, comme cette sorte de palan tout en bois, destiné à remonter des gravats.
L’atmosphère est lourde, presque irrespirable (n’oublions pas que nous sommes à plus de 4000 m) Et on se demande bien si on va tenir le coup.
Nous entendons distinctement les coups de pioches qui résonnent dans la montagne : oui, il n’y a pas de doute, nous sommes bien au cœur de la montagne de l’enfer !
« EL TIO »
Nous atteignons enfin un groupe de mineurs qui préparent une explosion ! Ils nous expliquent qu’avant toute chose, il faut faire un don au « Tio », le diable du Cerro Rico ; il est censé veiller sur les mineurs, et il faut prier pour que tout se passe bien ! Je veux bien les croire !
Certains couloirs sont enrubannés de guirlandes colorées. Nous arrivons devant une sorte de divinité, de personnage indescriptible, décoré de rubans de couleurs à qui nous faisons une offrande : quelques feuilles de coca, on allume une cigarette qu’on lui colle dans la bouche et enfin, nous l’aspergeons d’un peu d’alcool !
A la lueur de nos lampes, la vision de ce personnage est étonnante et j’allais dire flippante !
Une fois le rituel achevé, nous les accompagnons pour observer la préparation : c’est à la barre à mine et au marteau, qu’ils percent la paroi destinée à la dynamite ! C’est assez fou de voir encore çela à notre époque !
C’est de façon que la montagne est grignotée petit à petit depuis des siècles, mais pour quelle récompense ?
Mêche courte ou mèche longue ?
Tout est maintenant prêt ! La mèche est allumée devant nous. Je n’en crois pas mes yeux, mais tranquillement, on nous amène dans un boyau de sécurité à une centaine de mètres. Bon sang, j’espère que ce n’est pas une mèche courte, hein ??
Une fois recroquevillé au fond de la grotte, notre tête entre nos mains, une violente déflagration s’en suit, dans un bruit étourdissant !
La grotte tremble de partout, et ce sont de minuscules morceaux de rochers qui nous dégringolent dessus ! De la poussière s’incruste partout ! Ouf ! C’est terminé, et je n’ai qu’une hâte ! Sortir au plus vite !
D’un point de vue historique
C’est en 1545 que des espagnols découvrent en cet endroit, un trésor qui deviendra le plus important gisement de minerai d’argent des Amériques.
La montagne portera alors le nom de « Cerro Rico », la montagne riche.
En 1650, la ville qui à l’origine comptait une centaine d’habitants, en compte alors 200 000, devenant une des villes les plus prospères et importantes au monde !
D’un point de vue géologique
Cette montagne est un véritable gruyère percé de près de 600 galeries, et compte environ 200 mines, et 600 puits !
Des siècles d’extraction ont eu raison de la mine d’argent qui s’est épuisée ; néanmoins, on extrait aujourd’hui de l’étain, du plomb, et encore un peu d’argent.
Mais jadis, là où l’on pouvait extraire 200 kg d’argent par tonne de minerai, aujourd’hui ce n’est plus qu’un simple petit kilo d’argent.
Le problème aujourd’hui réside dans le fait que cette montagne est tout simplement sur le point de s’effondrer, en raison des multiples galeries, poreuses et instables : certains prédisent que le drame se produira dans 20 ou 30 ans.
D’ailleurs, récemment, une partie du sommet s’est écroulée, avec la crainte d’un affaissement plus important. Dorénavant, toute extraction minière au-dessus de 4 400 mètres, est interdite, et des travaux sont en cours pour consolider son sommet.
Cette situation particulière a conduit l’UNESCO à se positionner sur ce lieu hautement symbolique.
1987 : La ville de Potosi, a été déclarée Patrimoine Mondial Culturel et Naturel de l'Unesco.
2014 : Le bien a été inscrit sur la liste du patrimoine en péril, en raison des menaces suivantes :
- Instabilité et risque imminent d’affaissement du sommet de Cerro Rico.
- Absence d’une politique de conservation de caractère intégrale qui tient compte de tous les éléments du bien.
- Dégradation potentielle du site historique par des activités minières incessantes et incontrôlées dans la montagne du Cerro Rico.
- Application inefficace de la législation en matière de protection.
- Menaces d’impact de facteurs climatiques, géologiques ou environnementaux.
2018 : l’UNESCO décide de maintenir la ville dans la liste du patrimoine en péril, malgré des efforts consentis par l’Etat Bolivien pour « sécuriser » le site, et assurer la sécurité des mineurs.
Source : UNESCO
D’un point de vue humain
En 1545, lorsque les Espagnols s’installent à Potosi pour exploiter le plus grand gisement d’argent de l’histoire, il faut trouver de la main d’œuvre :
Des milliers d’Indiens de l’Altiplano seront amenés pour exploiter le gisement, mais comme cela ne suffit pas, on fait venir des milliers d’esclaves Africains.
En 1572, tout esclave de +18 ans doit travailler par roulement de 12 heures, sous terre et pendant 4 mois.
Cela veut dire qu’ils travaillaient, mangeaient et dormaient sans voir le jour pendant ces longs mois.
Compte tenu des conditions de travail épouvantables, la mortalité est évidemment effroyable, car ce sont pas loin de 8 millions de morts qui seront recensés entre 1545 et l’indépendance de la Bolivie en 1825.
Les conditions de travail
Aujourd’hui, ce sont encore près de 15 000 mineurs qui y travaillent encore, mais les conditions de sécurité sont quasi inexistantes : les mines sont mal étayées, les outils sont encore manuels, pas de masque de protection, la dynamite est utilisée sans précautions, et il y fait plus de 40°.
Beaucoup sont morts ou meurent encore de maladies respiratoires dûes aux gaz toxiques, aux silices, aux chutes de pierres, glissements de terrains, effondrements de tunnels.
Nous pouvons nous offusquer aujourd'hui de ce constat, mais comme bien souvent dans ces pays démunis, ce travail permet de nourrir de nombreuses familles.
Espérons que le gouvernement Bolivien, avec l'appui de l'Unesco, continuera l'immense tâche qui a commençé depuis quelques années, dont l'objectif est d'améliorer la sécurité des mineurs et bien entendu, l'ensemble des conditions de travail.